La SNCF, le grand gâchis
Que penser d’une société qui abandonne le cœur de son métier en plein renouveau pour dégager des profits sur des activités annexes?
L’an dernier, la SNCF avait frappé les esprits en annonçant, pour l’exercice 2015 une perte nette de 12,2 milliards d’euros, conséquence de la dépréciation comptable massive opérée sur la valeur de l’infrastructure et du parc TGV. Cette année, rien de tel. Le groupe SNCF, formé par SNCF Mobilités, l’opérateur de transports, et SNCF Réseau, gestionnaire des rails, a dégagé en 2016 un bénéfice net de 567 millions d’euros. Hormis le fait qu’à ce rythme là il faudra 24 ans pour recoller les morceaux de l’an passé, il convient de s’attarder sur le « comment » de ce résultat.
Un résultat « chemin de fer » minable…
Une baisse de trafic imputée (pourquoi?) aux attentats aurait coûté 400 millions, les grèves politiques des cheminots en « réaction à la loi El Khomri » ont coûté 300 millions, les mauvaises récoltes ont affecté le fret, les inondations, le ras le bol des usagers picards, les feuilles mortes sur les lignes de Normandie, l’insécurité sur les lignes de banlieue ou du sud-est … se sont liguées pour amputer le chiffre d’affaires de la SNCF d’environ 1 milliard d’euros par rapport aux prévisions. Il s’établit à 32,3 milliards d’euros, en progression de 2,8%. Sauf qu’à périmètre et taux de change constants, il baisse de 1,5%.
Surtout, cette évolution recouvre des dynamiques différentes. En France, à changes et périmètres constants, l’activité voyageurs voit son chiffre d’affaires reculer de 4,3%, tandis que celle de Gares et Connexions, l’activité qui gère les gares comme des lieux d’échange, bondit de 11,6%.
Pourtant, côté trafic, le train se porte plutôt bien, avec une croissance 3,7% en Ile-de-France, et de 1,9% pour le TGV (hors grèves). Seulement voilà, «le modèle économique change», explique Guillaume Pepy, en particulier pour la grande vitesse. Finie l’époque où leur chiffre d’affaires progressait deux fois et demi plus vite que le trafic, c’était il y a quinze ans. Fini aussi le temps où le développement du trafic était absorbé par la baisse des tarifs et le développement des petits prix. Aujourd’hui, la SNCF doit faire avec une «baisse nette des prix», explique son patron.
Obsédé par le contre-exemple Air France, le président de SNCF Mobilités veut prendre les devants, et mise sur le développement des offres low-cost qui ont connu en 2016 un bond de 76% du trafic. Il faut dire que les prix des billets sont particulièrement élevés. En règle générale un billet de train revient quasiment au même prix que le trajet fait en automobile, sauf que l’auto transporte jusqu’à quatre personnes….
Une équation insoluble dans le cadre actuel
La SNCF veut apporter la preuve de sa réactivité et mise tout sur le low-cost: «nous nous adaptons à la transformation profonde du marché, explique Guillaume Pepy, «c’est pour nous une priorité depuis plusieurs années». Mais le groupe a aussi donné des gages sur le front des coûts. «À chaque chose, malheur est bon. Face à la conjoncture, nous avons durci en mars, puis de nouveau en septembre, notre plan d’économies. Les résultats sont là: nous avons atteint 825 millions d’euros d’économies, bien plus que les 750 millions initialement prévus», explique Guillaume Pepy. L’effort a porté sur les frais généraux, les dépenses industrielles du réseau, la productivité commerciale, la lutte contre la fraude … Mais il n’a pas suffi: «la marge opérationnelle est inférieure de 2 points à ce que nous avions espéré», convient Guillaume Pepy.
En fait, le Président de SNCF est au bout du modèle économique de la très vieille SNCF. Les économies qu’il a réalisé cette année pour tenter de sauver la face et de présenter des comptes ç peu près présentables, ne sont que des reports de dépenses qu’il faudra de toute manière bien faire un jour, quand ce n’est pas du jonglage sur le crédit fournisseur. Les coûts de fonctionnement directement imputables aux conditions de travail, aux statuts des personnels rendent impossible toute action visant à améliorer la compétitivité de la SNCF. Le défi auquel la SNCF est confrontée sur le modèle économique de ses activités ferroviaires, bousculé par la concurrence du covoiturage et demain, d’autres opérateurs ferroviaires, se double de celui, considérable, qui se pose au réseau vieillissant et chaque année plus réduit.
Sortir du dilemme par des activités nouvelles
Et voici la SNCF qui s’engouffre dans l’absurdité macronienne des bus intérieurs à en devenir le leader national avec sa filiale « Ouibus »! Alors que la prise de conscience écologique semble avancer (du moins au niveau facial) dans le pays, voici que l’activité transport la moins polluante, le train, abandonne du terrain, ferme des lignes, réduit ses rotations, augmente ses tarifs sur les lignes secondaires, ferme des gares, bref réduit le service et la qualité du service au profit des bus, polluants, accidentogènes… Comment un bus qui ne peut transporter que quelques dizaines de personnes; qui paie les autoroutes à chaque rotation, qui consomme plus d’énergie par tête de pipe et plus chère qu’un train, peut il générer un coût de billets compétitif?
Tout simplement parce que la filiale Ouibus n’applique pas la même politique sociale que la maison mère….
Bloquée sur son coeur de métier, la SNCF se lance maintenant dans l’auto-partage, le co-voiturage, les bicyclettes électriques, bref tout ce qui mousse et peut faire un petit peu de profit pour renflouer le déficit généré par l’activité rail.
Il faut casser ce modèle
Certains pays, comme la Suède, ont déjà franchi le pas et le rail ne s’en porte que mieux, puisque le nombre de liaisons de voies ferrées ne cesse d’augmenter et que le train est en train d’y gagner de sérieuses parts de marché. En 1914, la France était le pays dans la densité en lignes de chemin de fer était la plus forte. Depuis, et en particulier depuis la nationalisation de 1937, le rail ne cesse de perdre du terrain en France. Pourtant, sur le plan écologique, le ferro-routage ferait économiser des milliers de tonnes équivalent pétrole, ralentirait l’usure du réseau routier, diminuerait les accidents mortels sur les routes, diminuerait le rejet des particules dans l’atmosphère. Pourtant, la réouverture de lignes de chemin de fer avec une économie concurrentielle permettrait à des milliers de voitures de ne pas circuler…
One thought on “La SNCF, le grand gâchis”
Il est certain de surcroît qu’il existe une concurrence officieuse entre le rail, l’avion et l’autoroute qui est particulièrement défavorable aux usagers. On peut parier qu’une baisse substantielle du prix du billet de train aurait un impact appréciable sur le prix des péages et celui du billet d’avion, car ces derniers s’adaptent aux tarifs de la SNCF afin que leur solution s’avère somme toute rentable. Dans cette affaire, l’irruption du covoiturage dans le paysage du transport ressemble à celle d’un chien dans un jeu de quilles qui est aussi un jeu de dupes. Car si le covoiturage automobile est nettement meilleur marché que le rail, il est nettement plus risqué, plus polluant et plus fatigant. Seul espoir, qui tarde à se concrétiser : la concurrence voyageurs sur le rail, gage d’un meilleur service au meilleur coût, mais aussi la concurrence sur le ferroutage et, pourquoi pas, le train + auto, que la SNCF a été incapable jusqu’ici de développer.