Guyane, crise d’enfants gâtés?
La Guyane (qui n’est pas une île), est bloquée et au bord de la guerre civile à cause d’une poignée d’excités. Cette violence repose-t-elle sur une réalité économique?
Le gouvernement ne sait plus comment aborder le sujet
Ce lundi 3 avril, le Premier ministre Bernard Cazeneuve a convoqué les principaux ministres concernés par les manifestations en Guyane. Autour de la table, le ministre de l’Intérieur, Matthias Fekl, et la ministre des Outre-mer, Ericka Bareigts, bien sûr, mais aussi Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’Education nationale, Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales et Jean-Jacques Urvoas, le Garde des Sceaux. Au menu, la négociation d’un plan d’urgence pour la Guyane, bloquée depuis quinze jours et qui a connu la semaine passée la plus importante manifestation de son histoire. Il s’agit de ne pas répéter les erreurs de la ministre en charge du dossier qui a dans un premier temps méprisé les manifestants puis s’est ravisée et a promis un milliard…
Les émeutiers font monter les enchères
Les négociations sont ardues, car dimanche 2 avril, la délégation du mouvement « Pour que la Guyane décolle » a rejeté le milliard d’euros mis sur la table par le gouvernement et réclamé une enveloppe d’au moins 2,5 milliards d’euros.
« Il serait aisé de céder à la facilité et de promettre des mesures et des aides financières d’un montant irréaliste puis d’en laisser la charge et la responsabilité à un autre gouvernement. Ce n’est pas la conception que nous avons de la responsabilité dans la République« , a répondu Bernard Cazeneuve le 3 avril à l’issue de la réunion avec les ministres.
Encouragés par les atermoiements du gouvernement et par l’idée selon laquelle c’est le moment ou jamais d’obtenir de la part d’un gouvernement qui n’aura pas à assumer ses promesses le maximum, les émeutiers font monter les enchères: « Il y a vraiment un blocage du gouvernement pour ouvrir les robinets et régler les problèmes. On est déterminés, on joue l’avenir de nos enfants. Ça fait des décennies qu’on nous donne des miettes. Là, on dit stop. », a déclaré Davy Rimane, membre de la « délégation » des émeutiers guyanais.
La Guyane, enfant gâté des DOM-TOM
Des miettes? Il s’agit bien de rhétorique. Depuis dix ans, l’effort de l’Etat en faveur de la Guyane est loin d’être anecdotique, d’après les chiffres compilés par Challenges à partir des données du ministère des Outre-mer et de l’Insee. En retenant le seul périmètre de l’Etat, c’est-à-dire sans prendre en compte la Sécurité sociale ni les collectivités locales, la dépense par habitant est ainsi passée de 5.131 euros en 2007 à 7.494 euros en 2017.
Soit une hausse de 33%, une fois déduite la hausse des prix qui avoisine les 13% dans le département d’outre-mer en dix ans. En comparaison, les crédits versés à la Guadeloupe ont augmenté de seulement 2% et ceux octroyés sur l’ensemble de la France ont diminué de 6% (hors collectivités locales, Sécurité sociale et niches fiscales).
A cet effort budgétaire, il faut ajouter les fameuses niches fiscales dont bénéficient la Guyane et les autres territoires d’outre-mer. En 2008, l’ensemble de ces ristournes pour l’outre-mer représentaient un manque à gagner de 3 milliards d’euros pour les caisses de l’Etat. En 2017, elles s’élèveront à un peu plus de 4 milliards d’euros, selon les prévisions du ministère des Finances. Avec, en tête des mesures qui coûtent le plus cher, les taux réduits de TVA et les exonérations de taxe sur les carburants qui pèsent respectivement 1,3 et 1,1 milliard d’euros.
La Guyane est déjà sous perfusion
Au total, l’économie de la Guyane est largement sous perfusion d’argent public. Près de 90% de la richesse créée en Guyane dépend de financement public. Les fonctionnaires représentent 31% de la population active, contre moins de 20% en France, et bénéficient de rémunération de 40% supérieure à celle de leurs collègues de métropole, même si les investissements publics sont très concentrés sur Cayenne et Kourou et moins sur certaines zones reculées. Notons que tant une certaine ministre « de poids » dont l’engagement autonomiste n’était un secret pour personne que les actuels émeutiers ne sont originaires de ces zones économiquement délaissées.