Cette cogestion allemande impossible en France
Comprendre sans idolâtrer. Adapter sans copier. Intégrer sans perdre sa personnalité.
Il existe, en France, des grands commis de l’Etat qui rêvent encore d’infléchir le système. François Villeroy de Galhau, directeur général délégué de BNP-Paris, est l’un d’entre eux, et il s’en explique dans un livre tout juste paru:L’Espérance d’un Européen (Ed. Odile Jacob).
L’intérêt de la démarche? D’abord la personnalité de l’auteur, qui fut le directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn au Ministère des finances, entre 1995 et 1997, fort respecté au sein de l’élite administrative et politique parisienne. Sa thématique ensuite: celle de la convergence à «petits pas» avec l’Allemagne voisine, dont il reconnaît les mérites dans son ouvrage, illustrant son propos par un exemple familial.
La famille Villeroy de Galhau, originaire de la Sarre, de l’autre côté de la frontière française, n’est autre que la dynastie industrielle à l’origine du géant de la porcelaine Villeroy et Boch. L’auteur est donc, depuis son enfance, imprégné de cette méthode empirique à l’allemande, qui voit les patrons d’entreprise prêter une grande attention à la formation de leurs employés, et tester en permanence leurs décisions et leurs produits. Autre trait de l’auteur: son goût pour les équations simples qui, en quelques chiffres, permettent les meilleures comparaisons entre les deux pays. «Celle qui retient le plus mon attention porte sur le poids des dépenses publiques dans le produit intérieur brut (PIB), explique-t-il au Temps. Il est de 57% en France, 50% en moyenne dans la zone euro, et 44% en Allemagne. Un écart de 13 points, contre seulement cinq en 1996, avant la création de la monnaie unique. Huit points de PIB se sont rajoutés a l’écart initial. C’est le même modèle social, mais plus coûteux. La seule facon de redresser la barre est de regarder ailleurs. Mon message est que nous devons trouver des solutions ensemble, notamment au niveau franco-allemand. Je pense par exemple que les deux pays pourraient, au niveau européen, être porteurs d’un projet d’Erasmus de l’apprentissage. On parviendrait à former 2 millions de jeunes sur dix ans.»
Entendre François Villeroy de Galhau rassure sur la lucidité d’une (petite) partie de l’élite hexagonale. Difficile, par contre, de voir comment ces porteurs de solutions concrètes peuvent être entendus, quand on voit l’accueil plus que frais réservé cette semaine par le gouvernement français aux propositions formulées par les économistes Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein. Rendu public mercredi, leur rapport (disponible sur www.strategie.gouv.fr) a reçu une quasi fin de non-recevoir à Paris. Deux des idées évoquées pour flexibiliser le marché du travail français si rigide – la révision du mode d’indexation du salaire minimum et la mise en œuvre d’un nouveau rythme pour les négociations salariales – ont aussitôt été écartées et jugées «inappropriées».
Le plus grave n’est pas ce rejet caricatural de réformes «à l’allemande» accusées d’ouvrir la voie à une société trop «inégalitaire»… dans une France où 5,1 millions de personnes sont soit dépourvues de toute activité, soit en sous-emploi. Le problème de fond est, cette semaine, révélé par la reprise d’un affrontement stérile entre le patronat et le gouvernement, sur le «pacte de responsabilité» adopté en juillet.
Regrettant les faibles avancées de ce dispositif d’allégements fiscaux en échange d’embauches, le ministre de l’Economie (pourtant très social-libéral) Emmanuel Macron impute cet échec au Medef – le syndicat patronal – et à son président Pierre Gattaz. «Depuis plusieurs jours, l’exécutif exprime de plus en plus son agacement face à des organisations patronales qui, à ses yeux, sombrent dans le corporatisme et en demandent toujours plus, alors que la collectivité a déjà fait beaucoup», soulignait Le Monde du 4 décembre.
Pas un mot, du côté des pouvoirs publics, pour reconnaître l’extrême complexité du système, et le fait que beaucoup d’entreprises – surtout les PME – confrontées au problème prioritaire de leurs carnets de commandes n’ont pas les ressources pour gérer la paperasse induite, comme le reconnaît le comité d’évaluation mis en place par France Stratégie dont le directeur n’est autre que… Jean Pisani-Ferry. Pas un mot, à l’opposé, du côté du controversé patron des patrons, Pierre Gattaz, pour ramener le calme. Au contraire. Depuis une semaine, celui-ci surfe sur les déclarations de ses adjoints tel le président du Medef du Rhône qui s’est emporté ce week-end contre la «sphère publique française démentielle», «le coût du travail insupportable» et les «réglementations inutiles».
Triste constat: à la cogestion allemande répond toujours, en France, un dialogue de sourds, pétrifié par les clichés et les préjugés malgré les déclarations d’amour aux entrepreneurs formulées par le premier ministre Manuel Valls. Plutôt que d’étudier ensemble, comme le préconise François Villeroy de Galhau, des solutions concrètes et de dimension parfois modeste, gouvernement et patronat s’accusent mutuellement «d’irresponsabilité». Tout en consacrant beaucoup d’énergie à soigner les apparences: l’un des invités vedettes du premier «sommet de l’économie» (www. sommetdeleconomie.com) organisé ce jeudi et vendredi à Paris, et ouvert par Emmanuel Macron, n’était autre que… Peter Hartz, l’ancien conseiller de Gerhard Schröder pour les réformes du marché du travail et ami proche de François Villeroy de Galhau. Un expert allemand reçu, loué, salué. Mais jamais écouté.
Source: www.letemps.ch