Bientôt, la liberté d’édition sera contrainte par l’argent sur le Net

Faire payer, voici le moyen classique de ceux qui dominent un marché pour s’assurer de rester entre soi éviter l’innovation…

Depuis quelques années, les opérateurs télécoms et les fournisseurs de services sont en conflit sur une question cruciale : qui doit payer pour l’acheminement de leurs données ?

Jusqu’à présent, les fournisseurs de service ne payaient pas, ou peu. Le développement exponentiel de la video change la donne. Aux Etats-Unis, YouTube et Netflix accaparent déjà plus de la moitié de la bande passante en période de pointe. En Europe, YouTube à lui seul en squatte 28 %. Face à ces fournisseurs de services gloutons, les opérateurs ont l’impression d’être les dindons de la farce et apprécient moyennement de voir passer des pubs et des recettes dont ils ne touchent rien.
Pour contrecarrer cette tendance, les opérateurs sont entrés dans un mode de résistance passive. Quand les flux vidéo deviennent trop importants, ils refusent d’ajouter des capacités, ce qui entraine des effets de saturation. Côté utilisateur final, les services deviennent rapidement indisponibles. Aux Etats-Unis, l’opérateur Verizon est actuellement dans une telle guerre des tranchées face à Cogent, un opérateur dit « de transit » qui véhicule les flux de Netflix. En France, Free a adopté une attitude similaire pour faire plier YouTube.

Conflit après conflit, les opérateurs imposent leur loi

Un début de conflit eut lieu en 2010 entre Comcast et Level3, qui achemine les flux de Netflix (deuxième opérateur video américain). Un accord a été signé qui a été renégocié cette année…. au profit de Comcast! En 2011, Orange a fermé le robinet à Cogent qui faisait passer des flux issus des serveurs de Megaupload. Cogent a porté plainte, mais c’est Orange qui a gagné. En 2012, l’Autorité de la concurrence a jugé que l’opérateur historique était dans son droit et pouvait réclamer le paiement d’une augmentation des capacités si les flux entrants sont trop importants par rapport aux flux sortants. En effet, l’interconnexion entre les opérateurs s’effectue généralement selon des accords dits de « peering » : à partir du moment où les échanges de flux sont plus ou moins équilibrés, pas la peine d’exiger quelconque paiement. Cette façon de faire à la fois flexible et non formelle a permis à l’internet de se déployer très rapidement sur la planète. C’est donc une caractéristique essentielle du web. « Au début, le peering était gratuit. Mais depuis quelques années, les échanges deviennent tellement asymétriques que ce n’est plus tenable », précise Alexandre Pébereau. Conforté dans sa stratégie par l’Autorité de la concurrence, Orange fait désormais payer le peering si les flux entrants sont 2,5 fois plus importants que les flux sortants. Et ça marche. Même Google crache au bassinet de l’opérateur historique.
La semaine dernière, Tom Wheeler, nouveau président du régulateur télécoms américain (Federal Communications Commission, FCC), a provoqué un petit séisme en affirmant dans un discours qu’il n’était pas impossible qu’à l’avenir « des acteurs tels que Netflix paient pour que les abonnés puissent jouir d’une transmission la meilleure possible ». Jusqu’à présent, la FCC était opposée à ce type de relation commerciale, estimant que cela introduirait une discrimination de certains acteurs par rapport à d’autres.

Ce message a été reçu avec une joie non dissimulée par les opérateurs. «  Cette annonce est très importante, car elle préfigure la manière avec laquelle la FFC va désormais arbitrer les futurs conflits sur cette question. Cela va faire bouger les lignes dans ce pays », estime Alexandre Pébereau, directeur de l’activité « International Carriers » chez Orange.

Quelles conséquences cela peut il avoir sur l’utilisateur final ?

Aucun doute que la multiplication de ces paiements croisés va d’une manière ou d’une autre se retrouver sur la facture du consommateur. De quelle manière? La plus probable, la plus souvent citée, est la réduction de l’espace gratuit. YouTube et les grands services aujourd’hui en accès gratuit (si tant est que l’obligation de se « manger » des spots de publicité avant et après chaque visionnage ne soit pas considéré comme « payer »), ont toutes le chances de devenir payants. Cela posera néanmoins un problème déontologique,voire juridique, car si les utilisateurs achètent des abonnements Internet, c’est parce qu’ils veulent accéder aux services des fournisseurs de contenu, pas virtuellement au réseau. Ce qui revient à dire que les FAI ne vendent pas des « accès à Internet », mais des accès à YouTube, Google, Dailymotion, etc… Il n’y a donc pas lieu de faire payer deux fois le même accès.
En fait, c’est aux éditeurs et fournisseurs de contenu que cette évolution sera la plus néfaste. En effet, il ne fait aucun doute qu’un internet à péage  favorisera les grands acteurs qui seront les seuls à pouvoir payer. Dès lors, l’innovation, la concurrence, l’impertinence, la contestation n’auront plus ou quasiment plus leur place et Internet deviendra, comme le monde de l’écrit, de la radio ou de la télévision, un monde sclérosé aux mains de quelques opérateurs tout puissants et jaloux de leurs prérogatives.

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