Vers l’étatisation complète de la santé
Petite prime, dépassements autorisés, création d’un nouveau secteur, notion de seuil, contrôles…
On y voit un petit peu plus clair dans les accords conclus mardi entre les médecins et l’assurance-maladie pour encadrer les dépassements d’honoraires.
La rémunération des médecins
Les généralistes du secteur 1, qui ne facturent pas de dépassements, se verront généreusement accordé un forfait de 5 euros par patient et par an, au titre de leur fonction de médecin traitant. Les syndicats de généralistes sont contents. Ils estiment que le coût du travail de secrétariat qu’ils assurent pour le compte de la sécurité sociale commence à être reconnu et valorisé. L’assurance-maladie estime ce surcoût à 320 millions d’euros, sur trois ans. Certains actes de spécialistes seront revalorisés, comme ceux des chirurgiens et des obstétriciens. Les radiologues, au contraire, verront leurs tarifs baisser ainsi, apparemment, que les biologistes.
Si, comme nous l’avons écrit, les syndicats professionnels semblent contents, l’objectif de la fonctionnarisation de la médecine s’affirme encore un petit peu plus à travers cette prime de 5€ payée par l’organe central de la santé. La part de revenus des praticiens provenant de l’Etat s’accroît et avec elle le contrôle et la mainmise sur une profession qui n’a quasiment plus aucune liberté, aucun libre arbitre. Ce n’est certainement pas de cette manière que l’on peut espérer inverser le mouvement de fuite de nos jeunes médecins (seulement 8% des diplômés s’orientent vers la médecine libérale alors que nous faisons venir des praticiens étrangers pour tenter de contrer la désertification médicale). (Lire l’ouvrage du docteur Patrick de Casanove « Sécu: Comment faire mieux ».)
Quant à la baisse des tarifs des radiologues et des biologistes, c’est une ineptie. Je sais que certains lecteurs ne comprendront pas ma réaction, mais il faut savoir que cette mesure condamne à plus ou moins brève échéance les laboratoires de proximité au profit des gros laboratoires gérés par des sociétés financières. Rapidement, le mouvement de désertification médicale, déjà perceptible avec la fermeture d’hôpitaux ou de maternités (avec des drames comme celui du week end dernier) va toucher les médecins encore présents dans les petites villes car ils ne pourront plus faire de diagnostics en ville, il n’y aura plus de biologistes et de radiologues de proximité. Il faut savoir que les biologistes en sont à 40% de baisse en six années!
Et les médecins de secteur 2?
C’est tout l’objectif du « contrat d’accès aux soins ».
Les médecins du secteur 2, autorisés à facturer des dépassements d’honoraires, qui signeront ce contrat s’engageront à geler leurs honoraires pendant trois ans. En contrepartie, ils bénéficieront d’allègements de cotisations. La base de remboursement de leurs actes par l’assurance-maladie sera relevée (nous ne savons pas encore de combien), ce qui réduira, mécaniquement, la somme restant à la charge des patients.
Là encore, la solution trouvée tient de l’usine à gaz. D’un côté on augmente la base de remboursement (ce qui revient à reconnaître l’ineptie de cette double base secteur 1 et secteur 2), de l’autre on leur demande de geler leurs honoraires qui, dès lors ne seront plus libre (donc fonctionnarisation supplémentaire d’une partie de la profession qui faisait encore preuve d’indépendance). Imaginons, hypothèse très probable, que la base de remboursement des médecins de secteur 2 signataires soit réévaluée mais différente de celle des médecins de secteur 1 (cette hypothèse est hautement probable car il serait idéologiquement difficile d’expliquer à ceux qui appliquent le tarif de convention que la base de remboursement de ceux qui ne l’appliquent pas devient tout à coup identique à la leur au prétexte qu’ils se sont engagés à ne pas augmenter leurs dépassement d’honoraires pendant trois ans). Nous allons nous retrouver alors avec trois bases de remboursement différentes. Selon que votre MG est secteur 1, secteur 2 « contractant » ou secteur 2 « libre ». Bonjour l’embrouille!
Et pour parachever l’usine à gaz, les « gentils » contractants auront droit à un allègement de charges… Y’en n’a pas un petit marre de cette multiplication des régimes dérogatoires sur les charges? Encore un petit peu et le calcul des charges deviendra bientôt une spécialité post math sup. Soit les charges sont trop lourdes, freinent la compétitivité, rendent quasi impossible toute réalisation de marge dans un certain nombre de secteurs et on les supprime ou on les transfert, soit elles sont justifiées et proportionnées et elles s’appliquent à tous!
Qu’en est il du projet de sanction des « excès » de dépassement d’honoraires?
Les sanctions sont bien évoquées, de même que le seuil. Ce qui, en soit, est un non-sens. Reconnaître un seuil, c’est de facto reconnaître que certains dépassements sont justifiés donc que le tarif sécu est injustifié. Ce seuil serait de 2,5 fois le tarif de la Sécurité sociale. Cela mettrait, par exemple, une consultation de spécialiste remboursée sur la base de 28 euros à 70 euros. Seulement voilà, l’ambiguïté du système ajoutée à une certaine ténacité des syndicats de médecins à laquelle probablement le gouvernement ne s’attendait pas, ont fait que ce projet de notions d’excès de dépassements, seuil et de sanctions est noyé dans le texte. Désormais, le « seuil » ne figure plus que dans le préambule du texte et encore ne s’agit il plus que d’un « repère »qui pourra être plus élevé « dans certaines zones », comme l’Ile de France.
C’est l’histoire du verre à moitié vide ou du verre à moitié plein. L’administration centrale est contente parce que le concept d’ « excès de dépassements d’honoraires » est acté et qu’il ne lui suffira plus, désormais, que de le « faire vivre » (step by step, d’abord une zone, puis une autre; d’abord un montant puis un autre…) et les syndicats sont contents parce qu’ils ont l’impression d’avoir fait reculer le gouvernement sur une promesse de campagne du Président Hollande en la rendant inopérante. L’avenir dira le vrai.
Alors, heureux?
Cet accord devrait être formellement signé jeudi ou vendredi. Les trois plus importants syndicats de praticiens -CSMF, SML et MG -devraient apposer leur signature comme prévu. La FMF et le Bloc, eux, n’en étaient pas encore certains aujourd’hui. De toute manière, qu’ils signent ou non ne changera rien à la mise en oeuvre de l’accord, la signature des trois « grosses » organisations étant suffisante. Quant aux complémentaires santé, elles devraient elles aussi aussi signer. Tout cela ne change pas grand chose pour elles, puisque le patient, double cotisant, conserve le choix de son taux de couverture, donc de son praticien (en théorie car il est tout de même contraint par l’obligation du « parcours de soins »). Quant à nous, les patients, ne nous attendons pas à une amélioration de notre système de santé, passé en l’espace de 12 ans de la première à la 21 ième place mondiale et qui risque fort de continuer à s’effondrer tant sous la dette que sous les réglementations administratives. Notons au passage, je sais que ça énerve, mais que voulez vous pour progresser il vaut mieux se comparer à meilleur que soit qu’à pire, l’Allemagne a un système de santé qui a généré l’an passé un excédent de 18Mds€, l’espérance de vie est la même qu’en France ou encore le Japon qui ne consacre que 8,5% de son PIB à la santé (11.8% pour la France), qui a la plus longue espérance de vie au monde et dont la population est très âgée a, par exemple, presque neuf fois plus de scanneurs par million d’habitants que la France (97,3 au Japon, 11,1 en France)….
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3 comments
Prendre en compte également l’idée de pousser à des réseaux en propre pour les mutuelles. Meilleur moyen par la suite de distinguer les bons des mauvais médecins en forçant leur regroupement. Quelques artifices habituels leur retirant d’une main ce qu’on promet de redistribuer de l’autre moyennant l’acceptation d’un code de bonne conduite et le tour est joué.
A y regarder d’un peu plus près, on peut remarquer un scenario opportuniste à peu près identique déployé par le biais de la nouvelle banque d’état destinée à « aider » les entrepreneurs. Une collectivisation qui ne dit pas son nom, mais bigrement efficace. Ainsi, la création des sociétés publiques locales ayant accès à toutes les activités économiques en parfaite dérogation par ailleurs du droit commun.
On peut se poser la question…..
Sur le fond, est-ce que quelqu’un remet en cause l’etatisation de l’armée? non… et pourtant pourquoi pas?
Au niveau de la santé c’est pareil, lorsque l’ampleur des objectifs, de la charge et du contexte qu’il faut mettre en place on peut effectivement se poser la question de son etatisation.
Cela demande surement quelques reformes, mais cela ne pourrait pas etre impossible. Il existe, pour l’armée des complexes indistriels privés qui fonctionnent, il existe des officines privées de securités…
…pourquoi n’existerait-il pas un systeme de santé public où la quasi totalité des intervenants medicaux serait dans un secteur public defini et encadré?
Avant de bloquer, pourquoi ne pas se poser la question et en tirer les conclusions qui s’imposent?