Napoléon le libéral? (1/2)

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Un nouveau regard sur Napoléon, fruit direct de la publication des lettres de l’Empereur mises à la disposition des chercheurs et du public des les années 2000….

Napoleon the Great, par Andrew Roberts, 2014, 832 pages.

Si vous m’aviez demandé mon opinion de Napoléon Bonaparte il y a quelques temps, je vous aurais répondu qu’il est pour moi un tyran belliqueux mégalomane narcissique et sanguinaire. Il y a du vrai dans cette perception, mais la réalité est beaucoup plus nuancée. J’ai récemment visionné un excellent documentaire en trois épisodes sur Netflix qui a changé ma perception. L’un des historiens consultés pour ce documentaire, le britannique Andrew Roberts, m’a semblé apporter une perspective fort intéressante sur ce personnage si important, et il apparaît que Roberts ait récemment publié un excellent livre sur Napoléon, que je me suis empressé de lire.

Les sources

La raison pour laquelle beaucoup de gens ont une perception trop négative de Napoléon est que les sources historiques à son sujet sont largement biaisées, provenant trop souvent de ses ennemis, de gens qui avaient une dent contre lui et/ou qui cherchait une position avantageuse auprès des Bourbons après sa chute. Par exemple, les mémoires de son ancien camarade de classe Louis-Antoine de Bourrienne, que Napoléon dû démettre de ses fonctions de secrétaire privé deux fois pour corruption; les deux hommes se sont quittés en mauvais termes. Il est donc normal que les mémoires de Bourrienne soient teintées d’amertume et de ressentiment.

Laure d’Abrantès quant à elle fut bannie de Paris par Napoléon en 1813. Lorsqu’elle publia ses mémoires dans les années 1830s, elle était accro à l’opium et affirmait se souvenir verbatim de longues conversations intimes avec l’Empereur. Même son de cloche en ce qui concerne celles de Joseph Fouché. Les mémoires de Talleyrand furent réécrites dans les années 1860s par Adolphe de Bacourt, profondémment anti-napoléonien. Les mémoires du Prince Metternich, ambassadeur d’Autriche à Paris, visaient à servir sa propre cause et furent écrites par un écrivain à gage. Celles de Paul Barras, ancien amant de Joséphine et contraint à l’exil suite au coup de 18 Brumaire, constituent clairement une revanche contre Napoléon. Même chose en ce qui a trait au directeur Louis-Jérôme Gohier, évincé lors de ce même coup d’état.

En revanche, les écrits du Marquis de Caulaincourt, d’Henri Bertrand et de Jean-Jacques de Cambacérès sont plus crédibles n’ayant pas été rédigés pour publication immédiate et n’ayant été découverts qu’au 20e siècle. Quant à ceux du Baron Louis de Bausset-Roquefort, préfet du palais, furent bravement publiés durant le règne Bourbon. Les autres mémoires plus fiables sont celles de Claude-François de Méneval et d’Agathon Fain (ses secrétaires privés après Bourienne).

Ceci dit, la mine d’or qui a permis à Roberts de revisiter l’histoire de Napoléon est la collection de 33,000 lettres publiées en 2004 par la Fondation Napoléon. C’est d’ailleurs cette impressionnante documentation qui fait de ce livre un ouvrage incontournable sur le sujet.

La Révolution Française

La Révolution Française, qui débuta le 14 Juillet 1789 quand une foule en colère a envahi la prison de la Bastille, fut précédée de plusieurs années de crises financières et d’émeutes. Quand les États Généraux de France furent convoqués le 5 mai pour la première fois depuis 1614 dans le but d’augmenter les taxes, il paraissait probable que le roi doive céder une portion de son pouvoir avec les représentants de la Tiers-État. Mais par la suite, les événements se sont bousculés de manière chaotique et imprévisible. Le 26 août, l’Assemblée Nationale adopta la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et le 6 octobre le Palais de Versailles fut englouti par la foule en colère.

Napoléon accueillit la Révolution à bras ouverts, du moins à ses débuts. Son pamphlet pro-républicain Le Souper de Beaucaire lui permit de se faire remarquer par les Robespierre et de se faire nommer commandant de l’artillerie au Siège de Toulon qui avait débuté en septembre 1993. La stratégie adoptée par Napoléon fut très efficace et mena à la victoire contre les Royalistes et les Britanniques. Cet exploit lui valut une promotion comme Brigadier Général et il fut mis en charge de l’artillerie de l’Armée d’Italie. Le 22 décembre 1793, après avoir été absent durant 58 de ses 99 mois de service militaire, parfois sans permission, Napoléon fut nommé général à seulement 24 ans.

À ce moment, la Guerre de la Première Coalition est déjà en branle. En termes simples, une panoplie de pays réactionnaires (et craintifs que la révolution ne soit exportées dans leur pays) se sont mis d’accord pour étouffer la Révolution Française et ramener un Bourbon sur le trône de France. C’est la France qui a déclaré cette guerre en premier en 1792, mais seulement que pour prendre l’initiative après que la Coalition eut été formée dans le but d’annihiler la République.

Le 5 octobre 1795, lors de l’Insurrection Royaliste du 13 de Vendémiaire de l’an IV (du calendrier révolutionnaire), le général Paul Barras choisi Napoléon pour diriger les opérations visant à protéger la Convention Nationale siégeant aux Tuileries. Grâce à une stratégie consistant à tirer des boîtes à mitraille sur les émeutiers à l’aide de canons, Napoléon réussi à repousser la menace, tuant environ 1,400 contre-révolutionnaires. L’intervention de Napoléon lors des émeutes de Vendémiaire lui valut une promotion à titre de commandant de l’Armée de l’Intérieur, pour avoir sauvé la République et évité une guerre civile.

La campagne d’Italie

Après un passage remarqué au service de topographie de l’armée, c’est le 2 mars 1796 que Napoléon prend la tête de la Campagne d’Italie, qui fut un succès retentissant. L’Autriche n’aura d’autre choix que de signer le traité de Campo-Formio le 18 octobre 1797, lequel met fin à la Guerre de la Première Coalition. Ce succès conféra à Napoléon une popularité et une notoriété non-négligeables.

Les réformes imposées par Napoléon aux territoires qu’il a conquis (et ce dès sa première campagne en Italie, mais aussi en Suisse, en Allemagne, en Égypte entre autres) incluent l’abolition des tarifs internes, la fin des privilèges féodaux, y compris les assemblées de nobles, diminution de la dette de l’état, protection des droits de propriété, fin du système de guildes, tolérance religieuse (abolition de l’Inquisition), établissement d’un système d’éducation moderne, élimination des ghettos (permettant aux Juifs de vivre partout) et parfois la nationalisation des propriétés de l’Église. Ces réformes favorisaient la méritocratie plutôt que l’aristocratie, ainsi que l’égalité devant la loi.

L’Égypte et 18 Brumaire

En 1798, le Directoire décide de lancer une expédition en Égypte et nomme Bonaparte à sa tête. Le but officiel était de nuire aux intérêts Britanniques. Suite à la défaite navale d’Aboukir et l’échec de la campagne de Syrie (siège d’Acre), Napoléon choisit de revenir discrètement en France plutôt que d’avoir à capituler devant l’ennemi, ce qui aurait nuit à son prestige. C’est Menou qui rendra finalement les armes le 31 août 1801. Cependant, grâce à une habile utilisation de la propagande, Napoléon a réussi à transformer cet échec de manière à mousser davantage sa réputation. On peut néanmoins affirmer que la victoire éclatante de l’armée française à la fameuse Bataille des Pyramides contre les Mamelouks ainsi que les réformes imposées par Napoléon alors qu’il administre le Caire ont mis en branle un important processus de changements institutionnels au Moyen-Orient.

L’autre raison pour laquelle Napoléon fuit l’Égypte est que la situation politique a profondément changé à Paris. Un coup d’état se prépare (18 Brumaire de l’an VIII), organisé par Emmanuel-Joseph Sieyès, et c’est Napoléon qui s’occupera du soutien militaire nécessaire à l’opération, qui aura lieu du 8 au 11 novembre 1799. Le Directoire tombe, remplacé par un Consulat, constitué de trois Consuls, dont seulement le Premier (Napoléon) détient véritablement le pouvoir.

Après une décennie de révolution, le peuple avait réalisé que le système parlementaire empêchait tout leadership à la tête du pays, lequel était empêtré dans une situation financière et géopolitique très inconfortable. La population était favorable à l’avènement d’un système moins représentatif, mais qui permettrait de faire avancer les choses pendant un certain temps. Le peuple vota donc en faveur de la nouvelle constitution, qui faisait de Napoléon une sorte de dictateur. Quelques années plus tard, un plébiscite allait nommer Napoléon Consul à vie et Empereur des Français.

Napoléon voulait renforcir la protection des droits de propriété et défendre les intérêts des petits marchands et entrepreneurs. Il allait s’assurer que les fonctionnaires soient suffisamment éduqués et bien formés, et que les promotions soient attribuées au mérite, et non par corruption ou népotisme. Le nouveau ministre des finances, Martin Gaudin, a simplifié le système fiscal et réduit les taux d’impositions. Il a réussi à équilibrer le budget de l’état pour la première fois depuis 1776. Le 13 février 1800, Gaudin fonde la Banque de France de manière à être moins dépendant du cartel des banques françaises pour le financement de l’État.

La Deuxième Coalition

Pendant ce temps, la France est toujours en conflit avec le Royaume-Uni, contre lequel elle instaure un blocus économique. Toutes les exportations britanniques en direction de la France et de ses alliés sont interdites. C’est aussi pour nuire aux intérêts Britanniques que le Directoire envoie Napoléon en Égypte, ce qui froissa énormément l’Empire Ottoman et la Russie. Les Britanniques quant à eux étaient prêts à subventionner généreusement toute nation souhaitant s’attaquer à la France, à hauteur de 14% des revenus de la couronne durant le règne de Napoléon, pour une somme totale de £65,830,228 entre 1793 et 1815, une somme colossale, mais tout de même moins dispendieuse que d’envoyer sa propre armée au front. C’est ainsi que la Seconde Coalition allait être formée, incluant la Russie, l’Angleterre, le Portugal, la Turquie et l’Autriche.

Les hostilités commencent en 1799 et la Coalition fait des gains importants en Italie et en Suisse notamment. C’est à ce moment que Napoléon revient d’Égypte pour le coup de 18 Brumaire et prend le pouvoir. Il tente alors d’éviter la guerre et d’obtenir la paix par la médiation, mais l’Autriche et le Royaume-Uni refusent ses offres. Le conflit culmine à la bataille de Marengo le 14 juin 1800, où Napoléon triomphe sur une armée autrichienne beaucoup plus nombreuse. S’en suivit une panoplie d’armistices et de traités en 1801, pour finir par le Traité d’Amiens de mars 1802 en vertu duquel la France entame une période de paix (de courte durée) avec l’Angleterre.

Les Réformes

Le 21 mars 1804, Napoléon promulgue le Code Civil des Français, surnommé « Code Napoléon ». Ce texte de lois est certainement le plus important (et positif) apport de Napoléon à sa nation (et au monde entier). Napoléon voulait que la France puisse bénéficier d’un système légal uniforme (plutôt que de 42 systèmes comme c’était le cas à l’époque), de poids et mesures standards, d’un système d’éducation adéquat et d’un marché interne ouvert et efficient.

Le Code Napoléon garantissait l’égalité de tous les citoyens Français devant la loi, l’habeas corpus, l’inviolabilité des contrats légaux et la non-reconnaissances des privilèges de naissance (i.e. l’aristocratie). Il établissait la tolérance religieuse et la séparation de l’Église et de l’État. Ce Code Civil a survécu au règne de Napoléon et a inspiré celui de nombreux pays, comme la Prusse, la Belgique, le Luxembourg, et Monaco. Certains de ses articles se retrouvent dans le Code Civil d’un quart des pays du monde, incluant le Japon, l’Égypte, le Québec et la Louisiane.

Après la Paix d’Amiens, Napoléon a tenté de stimuler l’économie à l’aide de l’interventionnisme et du protectionnisme. Subventions d’industries stratégiques, foires industrielles et technologiques, création de chambres de commerce. Mais la France était tout de même en retard de 30 ans sur l’Angleterre en terme de développement économique. Malheureusement, Napoléon rejetait l’idée que la concurrence et le libre-marché puissent avoir des conséquences positives pour l’économie…

Les Troisième et Quatrième Coalitions

En mars 1803, le roi d’Angleterre, George III, demande au parlement de mobiliser et équiper l’armée, pour se protéger d’une potentielle invasion française, car la France aurait mis en branle des préparatifs militaires majeurs, ce qui était faux. Pourtant, la Grande Bretagne déclara la guerre à la France en mai de cette même année. En décembre, l’Angleterre signe un traité d’alliance avec la Suède puis avec la Russie en avril 1805. L’Angleterre s’engage alors à verser 1.25 de livres en or pour chaque 100,000 soldats envoyés au front contre la France. L’Autriche et le Portugal joindrons cette Troisième Coalition un peu plus tard.

C’est durant cette campagne que le savoir-faire militaire de Napoléon est le plus évident. Grâce à une manœuvre rapide et brillante, il isole une armée autrichienne à Ulm et fait 60,000 prisonnier. Puis, il rencontre les forces russes et autrichiennes beaucoup plus nombreuses à Austerlitz, où il réalise un chef d’œuvre de tactique militaire et leur inflige une humiliante défaite. L’armistice est signée en décembre 1805. Cependant, la flotte franco-espagnole subit une cuisante défaire contre les Anglais à Trafalgar.

La paix est cependant de courte durée, puisque dès le 1er octobre 1806, le Royaume-Uni, la Russie, la Suède et la Prusse forment la Quatrième Coalition pour s’en prendre à nouveau à la France. L’hégémonie française sur le continent par la vassalisation progressive des États voisins est insupportable pour les autres puissances européennes, surtout l’établissement par Napoléon de la Confédération du Rhin, formée de 16 états allemands. Après lui avoir lancé un ultimatum, les Prussiens attaquent Napoléon sans attendre leur allié Russe et subisse la défaite. La campagne se transportera ensuite en Pologne, où Napoléon fait match nul avec les Russes à Eylau en février 1807 pour ensuite les écraser brillamment à Friedland en juin.

À suivre la semaine prochaine…J’inviterais les lecteurs à conserver leurs commentaires pour la deuxième partie de cette série de billets, car le coeur de mon argumentaire se trouvera dans la conclusion.

Et pour les citoyens Français qui trouveraient cette synthèse historique inutile, notez que Napoléon n’est pratiquement pas mentionné dans les cours d’histoire de l’école secondaire au Québec…

Source: Le Minarchiste

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