Les médias, piégés, diffusent des « Fake News »
Les soit disant « grands medias » veulent donner des leçons aux medias alternatifs et accusent les réseaux sociaux de diffuser de fausses informations… Pourtant, la majorité des fausses infos viennent de chez eux!
Après que les médias américains soient tombés dans le panneau du « dossier russe », on aurait pu attendre un minimum de circonspection de la part des médias européens, dont romands. Mais non! Le Matin s’engouffra dans la brèche, dès l’aube il est vrai. Les journalistes d’investigation ont toujours un peu de mal à se réveiller. Mais il fut suivi, et c’est beaucoup plus grave, de la RTS dans son journal du soir traitant de la première conférence de presse du président élu Donald Trump, alors que les rédactions avaient pourtant toute la journée pour découvrir qu’elles étaient menées en bateau, ce que les Américains savaient déjà depuis longtemps.
Les coupables de fausses nouvelles se livreront-ils finalement à un démenti? Le grand public gobera-t-il sans broncher des allégations tellement grotesques que leur simple teneur devrait faire hausser le sourcil de tout observateur doté d’un esprit critique? Trop tôt pour le dire. Mais reprenons depuis le début. Le énième scandale autour du Président Trump promet d’être de gros calibre: les Russes (toujours les Russes…) disposeraient d’informations très compromettantes sur M. Trump. Format télévisé oblige, le 19h30 est contraint de donner un résumé succinct de l’affaire:
Le coup de tonnerre est parti des plateaux de CNN, une chaîne qui affirme que la Russie détient des dossiers plutôt compromettants sur le président élu, liens avec le Kremlin, informations financières sur le milliardaire, et même une vidéo montrant Donald Trump en plein ébat sexuel osé avec des prostituées dans un hôtel de Moscou.
« Des allégations qui provoquent la colère du principal intéressé », poursuit le journaliste. On le serait à moins: tout est faux.
Remonter la piste
Passons rapidement sur certains détails: le scoop n’est pas originaire de CNN mais de BuzzFeed, un site d’information basé à New York et se définissant comme un « laboratoire viral ». L’épidémie a bien pris, pour le moins. Comme le rapporte Le Monde :
“BuzzFeed News” publie le document dans son intégralité pour que les Américains puissent se faire une idée par eux-mêmes sur les accusations concernant le président élu qui circulent depuis quelque temps au plus haut niveau du gouvernement américain.
De quel document s’agit-il? D’un dossier de 35 pages consacré aux prétendues relations entre Donald Trump et la Russie. Ce dossier émane des services secrets américains. Il est authentique. Il mentionne divers liens entre Trump et la Russie dont des façons dont les Russes pourraient faire chanter le président avec des informations compromettantes. Il « circule » depuis quelques temps entre les différents services de plusieurs agences de renseignement américaines, au point qu’un journaliste de BuzzFeed a pu mettre la main dessus.
Fidèle à la ligne de conduite du site, le document est mis en ligne. Mais comme le précise Le Monde, il s’agit d’informations « explosives mais non recoupées »: le dossier n’est pas validé. C’est un document de travail qui n’a pas vocation à être public, et qui contient des informations dont la véracité n’a pas pu être vérifiée. Qu’importe! Les « Américains se feront une idée par eux-mêmes », lance le rédacteur en chef de BuzzFeed.
Le tweet de Ben Smith de BuzzFeed, appelant les lecteurs à faire preuve de circonspection.
Les informations sont reprises tantôt par tous les grands réseaux, CNN étant la première chaîne à ouvrir le bal. Les maigres garde-fous mentionnés par BuzzFeed sont jetés aux orties – une charge anti-Trump pareille ne peut pas attendre.
Et tous les médias, comme un seul homme, plongent dans le précipice…
Aux racines du canular
Comme souvent, Internet est bien plus rapide que les professionnels de l’information. Alors que les rédactions en sont encore à se demander comment elles pourront donner un maximum d’impact à ces révélations salaces, des internautes s’interrogent face à des détails croustillants et invraisemblables (« Au cours d’une orgie à Moscou Donald Trump aurait fait uriner des prostituées sur le lit où aurait dormi Barack Obama lorsqu’il était venu dans la capitale russe » – le tout filmé, bien évidemment) qui leur rappellent une histoire évoquée sur le forum 4chan quelques mois plus tôt.
Pour ceux qui l’ignorent, 4chan est selon Wikipedia un forum anonyme anglophone, constitué d’un réseau de diffusion d’images. Remontant aux débuts anarchiques d’Internet, il ne connaît quasiment pas de modération, ce qui en fait un joyeux bazar où « le pire côtoie le meilleur », d’autant plus que les utilisateurs ne sont absolument pas identifiés ni identifiables. Émanation de cette culture, le mouvement Anonymous serait d’ailleurs né sur le site.
Des conversations mentionnent même l’auteur (anonymisé) du délire de départ sur le canal /pol/acks:
– Alors ils ont pris ce que j’ai raconté à Rick Wilson et ils ont rajouté une sauce d’espionnage russe par-dessus. Ils y croient encore. Les gars, je crois qu’ils sont putain de désespérés – il n’y a plus le moindre scandale sur Trump qui soit encore crédible.- C’est cette histoire de sextape d’une orgie? Comment qui que ce soit peut même croire un truc pareil?
Notez la date: le premier novembre 2016. Déjà à l’époque 4chan discutait d’une histoire rocambolesque inventée par un contributeur du site et s’étonnant qu’on le prenne au sérieux. Il n’imaginait pas l’ampleur que prendrait le fantasque récit issu de son imagination enfiévrée…
Autopsie d’une montée en puissance
La discussion du premier novembre évoque un homme, Rick Wilson. Rick Wilson est un consultant du Parti Républicain. Néo-conservateur, il affiche fièrement son hashtag #NeverTrump sur Twitter. Et surtout, il prend comme argent comptant la fable qu’un compère anonyme de 4chan, apparemment anti-Trump lui aussi, lui a inventé pour lui faire plaisir.
Mais l’affaire s’emballe lorsque Rick Wilson fait part de cette histoire à un proche, accessoirement ancien officier du renseignement, Evan McMullin. M. McMullin est lui aussi néo-conservateur et tout aussi opposé à Trump, utilisant lui aussi le hashtag #NeverTrump. Il est également anti-Russe, ça ne mange pas de pain dans ce milieu. Tous les ingrédients de l’histoire sont en place. Le dossier passe ainsi de mains en mains, augmenté à chaque étape. Le gros du travail est écrit par un ex-agent du MI6 britannique, Christopher Steele, directeur of d’une société de « business intelligence » basée à Londres (attention aux recherches sur Internet, c’est aussi l’homonyme d’un acteur porno gay…)Alors que son « dossier » se constitue peu à peu M. Steele décide d’en informer un responsable politique. Et qui de mieux que John McCain, un des républicains les plus opposés à Trump? Néo-conservateur, anti-Trump et anti-Russe, il semble l’interlocuteur parfait pour amener le dossier dans les sphères du gouvernement. Sitôt dit, sitôt fait.
Avec entre les mains une bombe qui concrétise ses fantasmes anti-Trump les plus fous, le sénateur John McCain hésite peu avant de transmettre le dossier aux agences de renseignement américaines avec lesquelles il partage des liens. L’information commence à circuler entre les différents groupes de travail officiels. Mais sans que le moindre recoupement ne soit effectué (qui montrerait entre autres choses que les dates et les lieux ne correspondent absolument pas à la présence des protagonistes sur sol russe, encore moins dans l’hôtel dont il est question) le dossier contamine d’autres documents secrets composés en urgence, comme l’implication des Russes dans l’élection américaine, puis « fuite » évidemment en intégralité vers des journalistes amis de BuzzFeed… Lesquels s’empressent de répandre l’information sur leur site.
Si ça vient des services de renseignement cela vaut la peine d’être publié, n’est-ce pas? Les Américains seront seuls juges…
Un aveuglement consternant
Depuis une journée, les médias du monde entier s’empêtrent dans leur propre désinformation en diffusant un scandale monté de toute pièce contre Donald Trump. Le soufflé promet de retomber assez vite (sauf chez les individus les plus lobotomisés) mais l’affaire est tout bonnement affligeante, considérant la récente campagne lancée comme un seul homme par tous les médias pour lutter contre les « fausses nouvelles ». Et quid de tous les médias européens qui ont repris la nouvelle à l’unisson alors que le 10 janvier au soir – heure européenne – la baudruche avait déjà éclaté?
La recherche de l’audience mêlée à une inextinguible soif de scandale anti-Trump aura fini d’emporter le peu de crédibilité qu’il restait encore à nos médias. Comme le résume tristement un autre utilisateur de 4chan:
Récapitulons ce qui est arrivé:- /pol/acks envoya par mail une fiction à l’éditorialiste anti-Trump Rick Wilson à propos de Trump faisant pisser des gens sur un lit dans lequel aurait dormi Obama- Il a pensé que c’était vrai et l’a donné à la CIA- La CIA, Agence Centrale de Renseignement des États-Unis d’Amérique, mit cela dans son rapport de renseignement classifié sur l’implication russe dans les élections- Donald Trump et Barack Obama ont tous deux lu cette fiction de /pol/acks- La CIA a conclu que les Russes envisageaient de faire chanter Trump avec cette histoire que nous avons inventéLaissons tout cela coulerQue sommes-nous devenus
Donald Trump aura une tâche ardue: dans son combat pour remettre l’Amérique sur les rails, il devra aussi sérieusement nettoyer des services de renseignement visiblement en roue libre, sans parler de ses « amis » du Parti Républicain. Les médias, eux, semblent au-delà de tout espoir.
Mise à jour (12 janvier): petite clarification du chemin de l’histoire entre 4chan et la CIA alors que les informations remontent. Pour l’heure aucun démenti notable dans les médias. On admirera au contraire la posture goulue du journal de référence autoproclamé Le Temps face aux « révélations » du dossier faisandé…