EDF construira les centrales nucléaires britanniques

chantier-epr-flamanvilleCocorico ou vraies interrogations? Pourquoi le choix énergétique du Royaume Uni s’est il décidé à Bruxelles?

Mercredi dernier, le collège des commissaires européens a donné son feu vert au projet de construction de deux réacteurs nucléaires EPR à Hinkley Point (sud-ouest) en Angleterre. Après une « enquête approfondie » concernant les aides d’Etat, la Commission a estimé que les concessions consenties par Londres et EDF, maître d’oeuvre du projet, rendaient le projet compatible avec les règles européennes.

Quelles sont les conditions d’octroi de concession à EDF?

Les concessions d’exploitation des EPR reposent sur un mécanisme de partage des gains: les éventuelles économies sur le coût de construction seront partagées à parité entre Londres et le consortium jusqu’à 1 milliard de livres et à 75 %-25 % au-delà. Passé un taux de rentabilité interne du projet de 11,4 %, les gains seront aussi partagés à 70 % pour le consortium et à 30 % pour Londres, puis à 40-60 au-delà d’une rentabilité de 13,5 %, et ce sur les soixante ans de durée d’exploitation prévus.

Le cœur du montage reste inchangé : il consiste à garantir à EDF un prix de rachat de l’électricité produite (7 % de la consommation britannique à terme) de 92,5 £/ mégawatt, indexé sur l’inflation. Il s’agit d’un niveau de prix deux fois plus élevé que les prix de marché actuels, et ce pendant les 35 premières années d’exploitation du réacteur. Le coût du projet, qui bénéficie aussi de la garantie du Trésor britannique, est évalué par EDF et Londres à 16 milliards de livres (soit 19 milliards d’euros). Bruxelles l’évalue de son côté à 24,5 milliards de livres en tenant compte des coûts d’emprunt, voire à 34 milliards de livres en prenant les hypothèses de refinancement les plus coûteuses. « Les chiffres n’ont pas bougé d’un iota », a assuré hier EDF, soucieux de ne pas alimenter une polémique sur les coûts du « nouveau » nucléaire. La formule est donc assez innovante, sinon dans sa forme, du moins dans son usage. L’Etat britannique ne sort pas un ct, a priori, pour l’investissement, garantit néanmoins celui-ci pour permettre au consortium de se refinancer, et paie sur une durée déterminée l’achat du megowatt à un prix surévalué pour tenir compte de l’amortissement. C’est le même montage que lorsque vous achetez votre smartphone chez un opérateur qui vous le fait à 1€ avec un contrat surévalué sur 24 mois….

Ce genre de solution de financement peut être une voie de relance de l’investissement énergétique et l’accord de Bruxelles pour ne pas considérer l’achat surévalué comme subvention est une bonne nouvelle.

Cette décision est elle dénuée d’arrière pensées politiciennes?

Cette décision, prise par des commissaires en fin de mandat, c’est à dire n’ayant pas à assumer les conséquences de leur décision n’est pas, et de loin, dénuées d’arrière pensées politiciennes. Bruxelles n’aimerait pas voir la Grande Bretagne quitter l’Union Européenne. Or, chacun sait que l’opinion britannique est de moins en moins favorable à cette Union Européenne plus vécue comme un pouvoir impérial s’imposant aux sujets britanniques que comme une association entre Nations de l’Europe. L’entrée au Parlement d’un député UKIP cette semaine est là pour rappeler, s’il le fallait, cette affirmation de l’opinion. Cameron et les défenseurs de l’Union n’auraient assurément pas eu la tâche facil lors du prochain référendum sur le sujet si Bruxelles avait bloqué un projet de construction de centrales nucléaires décidé en toute démocratie par les élus du peuple britannique. Cela eut été indiscutablement vécu comme une ingérence.

Ces arrières pensées politiciennes sont la raison pour laquelle le feu vert bruxellois n’a pas levé les oppositions au projet. L’Autriche, hostile au nucléaire, a confirmé hier qu’elle allait déposer une plainte devant la Cour européenne de justice. Et la fédération allemande des énergies renouvelables appelle ses membres à faire de même, Bruxelles mettant actuellement fin au système de tarif garanti pour l’éolien et le solaire. « L’accord est très bon pour EDF et ses partenaires, pas pour le Royaume-Uni. Les consommateurs britanniques vont lourdement subventionner de grandes entreprises françaises et chinoises », critique aussi Will Straw, spécialiste de l’énergie pour le think tank londonien Institute for Public Policy Research. L’américain Westinghouse s’est en revanche félicité de la décision : sa maison-mère Toshiba est engagée avec GDF Suez pour construire ses premiers réacteurs AP1000 en Grande-Bretagne. L’Europe de l’est, où plusieurs projets sont à l’étude, regarde aussi avec intérêt le montage financier qui pourrait rendre possible et viable plusieurs équipements.

Qu’est ce que les Chinois viennent faire là dedans?

EDF poursuit maintenant ses discussions pour trouver un dernier partenaire, en complément des deux groupes chinois CGN et CNNC (30 à 40 %) et d’Areva (10 %). EDF prendra 45 % du projet, de manière à ne pas le consolider dans ses comptes. La finalisation du tour de table pourrait être annoncée au moment de la décision d’investissement, « autour de la fin de l’année », a indiqué EDF.

Le secteur du nucléaire sera aussi attentif au rôle joué par les Chinois, qui multiplient les initiatives hors de leurs frontières. « Les partenaires chinois auront une participation aux décisions en fonction de leur présence. Ils auront des droits de minoritaires industriels », indique Henri Proglio. Une précision qui vise à couper court aux rumeurs de « transfert de technologie » de l’EPR vers des partenaires dont la déontologie technologique n’est pas la qualité première. Une précision qui ne rassure personne, en réalité. La vérité est triviale, l’Europe n’a plus les moyens d’une grande politique énergétique et les zones de progrès se sont déplacées, vers l’Inde, vers la Chine, vers le Brésil. Faire entrer les Chinois dans le projet d’EPR britanniques est un moyen pour EDF d’espérer capter une part significative du marché chinois de l’énergie nucléaire. Un jeu que M. Proglio estime valoir la chandelle de l’espionnage industriel.

La mise en service du premier EPR britannique est attendue pour 2023.

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